
Il me semble qu’on peut dire sans trop prendre de risques qu’on vit dans un monde et une culture encore très tintée du patriarcat.
Dans cette culture on valorise énormément des qualités traditionnellement « masculines » telles que la performance individuelle, l’efficacité, les résultats quantifiables et mesurables, la compétitivité… Et on dévalorise fortement des qualités traditionnellement plus « féminines » telles que la bienveillance, l'écoute, l'empathie, le soin ou encore la simple présence. Toutes ces qualités pourtant si essentielles à nos vies, et au bon fonctionnement du monde.
Cette vision du monde, profondément ancrée dans nos inconscients collectifs, a des répercussions dans toutes les sphères de nos vies, qu’elles soient professionnelles, privées… Et même dans notre relation au cheval.
Je le vois dans plein de situations autours de moi : ces personnes qui prennent des cours, (ou même qui enseignent) des techniques basées sur le relationnel, sur la coopération et le prendre soin, mais qui se sentent nulles si elles n’arrivent pas à atteindre un de leurs objectifs, de par exemple galoper en cordelette, obtenir un cercle en liberté ou sortir avec un cheval calme en extérieur. Celles qui partent marcher à pied avec leur cheval, pour prendre soin de son rythme d’apprentissage, mais qui ont honte quand elles croisent quelqu’un, et pire encore la personne croisée plaisante en lui disant qu’elle devrait être dessus son cheval au lieu de marcher à côté. (Et oui, pour moi partir avec un cheval seul en balade c’est une performance, parce que c’est profondément contre-nature pour la plupart des chevaux). Comme si, même si leur envie de fond est de se sentir profondément en lien avec leur cheval, et de prendre soin de lui, une petite voix en elle leur dit quand même : ce que tu fais pour prendre soin n’a pas de valeur. Ça n’aura de la valeur que le jour où tu auras atteint ton objectif ! Ça n’aura de valeur que quand tu auras prouvé que le soin que tu mets te permet d’atteindre telle ou telle performance. Je le vois à l’intérieur de moi aussi, où des voix en moi me raconte que tant que je n’ai pas atteint cet objectif d’apprendre le piaffer à mon propre cheval, je ne vaux pas assez pour guider et enseigner les bases du dressage, par exemple. Je le vois à l’intérieur de moi quand je suis en train de simplement profiter du soleil lors d’une longue pause avec mon cheval, et que quelqu’un passe devant la carrière, et que tout d’un coup je sens cette petite crispation, et cette petite voix s’agite en disant « bon, il est temps de s’y remettre » ?
Vraiment ? Peut-être que oui, c’est vrai. Et en même temps, peut-être pas.
C’est peut-être même une des raisons pour lesquelles on voit aussi dans les réseaux sociaux, ou les groupes dans les écuries, des gens qui ne performent pas vu comme « moins que », regardés avec hauteur. L’être humain est un être social. Son environnement relationnel l’influence, qu’il le veuille ou non. C’est pourquoi un tel environnement peut facilement atteindre l’estime de soi, et on pourrait vite arrêter d’écouter ce qui nous fait vraiment envie, vraiment du bien, pour écouter ce qui est valorisé autour de soi et laisser le regard des autres diriger nos actions.
Ce constat m’attriste et m’interroge. Lorsque je perçois en moi ces voix qui s’agitent, qui voudrait que je réussisse ceci ou cela, je prends souvent un temps de pause avec moi-même. Je me rappelle que ces voix sont le produit de ma culture environnante, et non de ce qui est vivant en moi en ce moment. Souvent je prends aussi un petit temps d’auto-empathie, selon le processus de la Communication Non Violente.
Bien sûr, la performance, les progrès quantifiables et mesurables ont aussi leur place. Il est très agréable de sentir réussir quelque chose. Ça nourrit la confiance, l’enthousiasme. Ça fait vivre du dépassement de soi, parfois même du partage. Bien sûr, qu’on peut avoir un rêve et se donner les moyens de le réaliser, quelle belle aventure que celle-là ! Et en même temps, personnellement, ce ne sont pas mes performances les plus impressionnantes qui m’ont apporté le plus de joie. Mes meilleurs moments sont souvent dans la beauté d’un mouvement tout simple, mais où tout d’un coup les planètes s’alignent, les corps sont détendus et en harmonie, et on entre dans le Flow l’espace d’un instant. Parfois même pendant une pause, un temps de respiration où je vis un instant de tendresse.
Non, je m’interroge surtout sur le déséquilibre de valorisation entre ces notions de performance et progrès quantifiables et mesurables, et le « prendre soin et être présent pour l’autre avec empathie ». Dans mon quotidien avec les chevaux, je fais attention à l’équilibre entre les deux, et dans mon discours intérieur, j’essai d’attraper au vol les fois où je survalorise l’un et dévalorise l’autre, pour remettre chacun à sa juste place. Bien sûr que les résultats quantifiables et mesurables sont importants, mais jamais en tant que but en soi. Ils ne sont que des repères pour savoir si je me dirige dans la direction que je souhaite, ni plus, ni moins. Je n’attends d’eux que d’être une sorte de panneau indicateur. Je souhaite contribuer au bien-être physique de mon cheval ? Super ! Il y a des observables très concrets pour m’indiquer si je suis ou non sur le bon chemin. Et en même temps, ma boussole, elle, est intérieure. Elle est nourrie par des « j’aime vivre » puissants. J’aime vivre l’harmonie. J’aime sentir mon corps traversé par la puissance du mouvement de mon cheval. J’aime contribuer à son bien-être. J’aime nourrir notre relation. J’aime sentir sa présence. Mes actions sont nourries des deux, sans que l’un prenne le pas sur l’autre. Passer du temps à regarder mon cheval brouter a de la valeur. Lui offrir des soins a de la valeur. Prendre le temps de faire une pause, de l’écouter dans ses expressions et ce que je perçois de son corps, sans rien demander, juste sentir, a de la valeur. Et elle n’est pas moindre par rapport à effectuer tel exercice.
Comment ce partage résonne pour vous ? Je suis curieuse de savoir s’il éveille des prises de consciences, réflexions ou si au contraire un de ces aspect pourrait être vécu comme dérangeant, ce que je pourrais tout à fait entendre aussi. Belle semaine à tous
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